Salut, je m’appelle Sandrine et je suis SDF.
Ça me fait marrer SDF, Sans
Domicile Fixe, moi je suis plutôt SD, sans domicile tout court ! Vous
me voyez là ? Je suis assise sur le trottoir, devant un magasin parce
que là, il y a comme une petite marche et je suis mieux que parterre, ça
me fait moins mal au dos.
Je suis donc SDF, moi des fois je dis
Sandrine divorcée François parce que mon mari, il s’appelait François,
il est parti un jour et je ne le regrette pas, il n’était pas très sympa
François.
Je suis aussi SF, sans famille car même si j’ai une famille,
je ne sais pas où elle est. Ils ont coupé les ponts comme on dit, oublié
Sandrine, se rappellent même plus que j’existe.
Je me souviens,
avant j’étais ADF, avec domicile fixe, ce truc où tu as chaud l’hiver et
frais l’été. On louait un appart avec François, on avait un boulot, on
payait le loyer, tout bien. On n’était pas très heureux mais on avait
chaud, je dis ça parce que là, tout de suite, je me caille comme pas
possible, alors ça m’obnubile, je ne pense qu’à ça. Je rentrerais bien
dans le magasin mais il y a un vigile qui ne me quitte pas des yeux….il
ne me laissera jamais rentrer, un jour, j’ai même eu un chien aux
fesses, quelle trouille !
Et donc on avait un appart et puis, quand
François est parti, presque en même temps, j’ai perdu mon boulot, au
bout de quelques mois, les proprios m’ont virée, j’arrivais plus à payer
le loyer. Et va trouver une location quand t’as plus de boulot et pas
de caution, c’est mission impossible !
Et va trouver du boulot quand t’as plus de domicile !
Alors, j’attends des jours meilleurs, là sur le trottoir. J’ai pas une
vie bien réglée, c’est le moins qu’on puisse dire, je mange à n’importe
quelle heure, surtout la nuit, quand la maraude passe, des fois, je me
dis que je fais le ramadan, avec le banquet de la nuit en moins, juste
une soupe. Je m’ennuie sur mon trottoir, je compte le temps ….et puis je
suis invisible.
Parfois, je m’ imagine que je suis un fantôme….les gens
passent devant moi, c’est marrant comme leur regard change d’un coup,
il devient fuyant, on a comme l’impression qu’ils viennent de se
rappeler qu’ils ont un truc très urgent à faire, alors ils accélèrent,
les mamans attrapent la main de leur gosse, vite vite, « dépêche toi, on
n’a pas que ça à faire ». Moi je rigole en regardant le gosse « je suis
un fantôôôôôme ».
Hier, la maraude m’a donné une doudoune, presque
neuve, rouge, c’est bien une doudoune, tu as chaud un bon moment, avant
que le froid finisse par pénétrer dedans, parce que le froid, ça
s’immisce partout, surtout si tu restes immobile. Et je peux pas faire
de la randonnée toute la journée et toute la nuit, je connais le
quartier par cœur. Au niveau découverte, on fait mieux, même si
j’imagine de temps en temps que je suis une touriste et que je découvre
la plus belle ville du monde. Ah ! On voit bien qu’ils ne visitent pas
tout les touristes, sinon, ils ne diraient pas ça !
De temps en
temps, rarement, j’arrive à trouver où dormir au chaud….bon c’est pas un
hôtel quatre étoiles, c’est même plutôt glauque. Mais il fait chaud,
alors tu supportes les odeurs, la promiscuité, les cris, les disputes.
Tu ne dors pas beaucoup car tu as peur de te faire piquer tes affaires
et ton sac, c’est ton seul trésor, alors tu veilles, mais tu as chaud,
tu as mangé et tu as pris une douche, c’est déjà pas mal.
J’aime pas
faire la quête, il me reste un peu de fierté tout de même ! Mais quand
je suis assise, parfois, quelqu’un me donne une pièce, alors je dis
merci, je ne vais pas la lui rendre quand même, une pièce, c’est un peu
de dignité qui revient, je peux aller m’acheter quelque chose, si on me
laisse rentrer dans le magasin.
Moi, ce qui me gène beaucoup, c’est
de ne pas pouvoir me laver tous les jours . J’étais propre et coquette
du temps de François, des fois, je pue, je le sais, ça c’est surtout
l’été, c’est pas plus marrant que l’hiver, l’été. Mais bon, on ne parle
de nous que l’hiver, l’été, tout le monde s’en fout, ils ont de la
chance les SDF, ils font du camping sauvage…
Et donc, vous avez
compris, ma seule préoccupation, c’est de trouver chaque jour où passer
la nuit. Ah, ça occupe, il y a de moins en moins d’endroits propices.
Ils font tout pour qu’on crève la gueule ouverte, des barrières, des
piques, des bancs où on ne peut pas s’allonger, ils ne manquent pas
d’imagination les gens de la ville et des fois je regarde tous ces
apparts vides, je vois bien qu’ils sont vides, je passe devant tous les
jours. Tu penses qu’ils sont bien fermés les apparts vides, ils ont trop
peur qu’on s’y installe.
Je rencontre Héléna de temps en temps,
avec son petit. Elle est roumaine, elle a appris le français comme ça,
dans la rue, elle me dit que chez elle, c’est pire, les gens n’ont même
pas une pièce à lui donner. Et là, je me dis que j’ai la chance de ne
pas avoir d’enfant. Il y a toujours pire que soi.
Ma copine Julie
s’est faite violer la semaine dernière, elle m’a raconté, elle ne
pouvait rien faire, ils étaient trois. Elle a subi, a beaucoup pleuré
mais les flics, ils s’en foutent complètement, c’est pas leur problème,
il paraît qu’on le cherche bien à rester dans la rue à pas d’heure. Des
fois, je me dis que je ferais mieux de crever, ça ferait un petit
article dans le journal, j’aurais mon heure de gloire, et je deviendrais
un vrai fantôme. Bon, j’ai pas le moral ce soir !
Allez, je vous
laisse, j’ai faim et c’est l’heure où les gens sortent la poubelle….il
faut aussi que je trouve des cartons. Si vous me voyez un jour, doudoune
rouge, dîtes moi juste « bonjour le fantôôôôôme », ça me fera rigoler.
Zut, il neige
(Texte écrit par Claudine Tixier )
Que dire? Que le premier sdf que j'ai vu ,j'ai su que ce n'était pas un clochard comme ceux que je connaissais,mais un nouveau modèle de miséreux destiné à se multiplier,que j'ai pleuré de rage après être rentré chez moi?C'était en 1985 ou 6 à Nice.Vive le modèle social français!Vive nos politiciens et nos patrons que le monde nous envie!
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